La ferme de Borny joue l'ouverture

28 novembre 2017

En activité depuis le printemps, la ferme de Borny est déjà en passe de gagner son pari : celui de sensibiliser un public urbain aux vertus de l’agriculture biologique.  Ses mots d’ordre : pédagogie et proximité. Première saison, premier bilan.

 

Article paru dans Metz Mag de novembre-décembre 2017, n°78

 

Deux oies (« Un monsieur et une madame ») s’affolent face à quatre gamins dissipés venus dans l’intention louable mais maladroite de nourrir ces voisins nouvellement installés de ce côté-ci du parc de Gloucester. Alors Céline Neveux s’en va indiquer les bonnes pratiques aux enfants, récupérer le pain qu’elle distribuera le moment venu, leur préciser que « ce sont des oies, pas des cygnes », et leur apprendre à reconnaître le mâle de la femelle : « Le monsieur, c’est celui qui a une grosse bosse sur la tête ! ». On lui fait remarquer que son intervention a ramené la discipline dans les rangs, de chaque côté de la clôture. « Ce n’est pas de la discipline, corrige-t-elle, mais de la pédagogie. » Dont acte et bienvenue à la ferme (de Borny) où, depuis le printemps, cette maraîchère de Norroy-le-Veneur et son mari, Jean-Philippe, œuvrent au développement de l’agriculture urbaine – urbaine, et biologique.

Vecteur de la transformation du quartier, parmi bien d’autres actions entreprises depuis 10 ans, l’implantation de la ferme de Borny rejoint à la fois les recommandations de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) qui prône d’y introduire des activités vertes, et les aspirations des citoyens à consommer des produits locaux et sains. Les modes de maraîchage pratiqués ici respectent les exigences de l’agriculture biologique la plus scrupuleuse : « Nous utilisons le moins d’énergie fossile possible, en accomplissant le maximum de tâches à la main, à la pioche, à la binette. Nous n’avons pas de tracteur, pas de chambre froide. Et nous n’arrosons pas nos potagers. » En somme, la seule huile utilisée, l’huile de coude, n’est guère nuisible à l’environnement, et ce n’est pas ici que la ressource en eau sera gaspillée !

« Surtout » pédagogique

Quant aux poules (une trentaine), au coq, aux quatre moutons, aux deux oies et aux deux derniers arrivants, deux cochons, ils jouent pleinement leur rôle d’animaux de la ferme : « Par exemple, explique Céline Neveux, les moutons tondent l’herbe en bordure de champs, ce qui favorise la biodiversité, et les poules comme les cochons nettoient et enrichissent les sols. Tous ont une utilité : mieux, ils sont indispensables. Et comme ce sont de vrais animaux de la ferme,  ils sont destinés à être mangés. » À ceux que cette destination questionne, les responsables de l’exploitation expliquent « la notion de bien-être des animaux ». Car la ferme de Borny n’est pas seulement agricole, elle est aussi pédagogique. Après y avoir passé quelques minutes ou quelques heures, le visiteur trouvera même peut-être qu’elle est « surtout » pédagogique : « Nous aidons les gens à prendre conscience de ce qu’ils mangent », résume Céline Neveux.

La pédagogie, c’est ici l’affaire de Natacha Muller, qui met en œuvre un programme d’animations destinées à un très large public, des bambins accueillis en crèches aux pensionnaires des maisons de retraite, en passant par les élèves des écoles maternelles et élémentaires, les collégiens, les lycéens. Des ateliers de cuisine, d’autres sur le jardinage ou la biodiversité sont proposés régulièrement. « Les idées ne manquent pas, et l’emplacement comme le concept de la ferme offrent des possibilités illimitées », s’enthousiasme Natacha, pendant qu’elle range le matériel utilisé un peu plus tôt par les 43 enfants d’un centre aéré. « Au départ, sourit-elle, certains se préoccupaient surtout de ne pas salir leurs chaussures ! Très vite, ils ont arrêté d’y prêter attention. Évidemment, le contenu des animations varie selon le public, mais l’idée conductrice est la sensibilisation à la biodiversité, à l’agriculture biologique, à la connaissance de l’écosystème. Des actions utiles aux citoyens d’aujourd’hui et demain. » Une utilité parfois déstabilisante, comme avec cette adolescente découvrant à l’occasion d’une visite de la ferme la provenance des œufs : « Elle était convaincue qu’ils sortaient d’une usine, fabriqués par l’homme. »

22 emplois d’ici 7 ans

A l’entrée du site, desservi par la ligne A de Mettis (station Colombey), un bungalow abrite l’espace de vente, un magasin où la ferme de Borny et 4 autres maraîchers proposent leurs fruits et légumes, élargi à d’autres produits, tous locaux et tous bio (huiles, pâtes, viandes, fromages…et même des bonbons !). « Avec le magasin, nous montrons que le bio est accessible, insiste Céline Neveux. Mais en jouant, là aussi, la carte de la pédagogie : Laure, responsable de la boutique, explique par exemple comment cuisiner les légumes qui ne sont pas forcément connus des clients. En plus, il est rare qu’une personne qui vient au magasin ne se retrouve pas ensuite dans l’allée du potager : cette activité suscite la curiosité ! C’est pourquoi nous laissons les gens se promener, nous allons d’ailleurs installer des bancs et un deuxième chemin sera aménagé puisque nous récupérons un hectare supplémentaire. Nous sommes réellement ouverts sur le quartier et nous créons vraiment du lien avec ses habitants : beaucoup de personnes âgées, à faibles moyens, viennent se procurer ce dont elles ont besoin : un œuf, une portion de pain, quelques légumes. Elles sortent, elles voient du monde, elles font leurs courses et elles mangent sainement ! »

Une dimension sociale qui se retrouve aussi avec, outre la création de 4 emplois à temps plein, un recours régulier aux chantiers d’insertion : 3 personnes suivies par la Fondation Abbé-Pierre viennent de participer à la récolte des pommes de terre ; une quinzaine de jeunes de l’association Apsis-Emergence ont travaillé sur le site pendant les vacances scolaires ; 3 autres, suivis par le Comité mosellan de l’enfance, de l’adolescence et des adultes (CMSEA),y sont formé au travail de la ferme à raison d’une journée par semaine, pendant un an. La montée en charge de la ferme de Borny prévoit, d’ici 7 ans, de compter 22 emplois, dont 7 ou 8 en 2018.

 

La Ville, un acteur majeur

 « Sans la Ville de Metz, ce projet n’aurait jamais vu le jour », insiste Céline Neveux. Et pour cause… Pour commencer, c’est la Ville qui loue les terrains à la société coopérative d’intérêt collectif, statut juridique de la ferme de Borny, dans le cadre d’une convention. Certains lui appartenaient déjà, elle en a acheté d’autres pour un montant de 70 000 euros. En plus des 2 hectares de Borny, 2 hectares supplémentaires ont été mis à disposition à la Grange-aux-Bois, destinés à des cultures de plein champ. La préparation et la réalisation du chantier de terrassement, la viabilisation de la zone, l’évacuation des déchets, l’aménagement à venir d’un parking, la fourniture de matériaux sont également pris en charge par la collectivité, qui a également procédé à l’achat, à l’installation et à l’aménagement de conteneurs maritimes abritant l’espace de vente, des vestiaires et des toilettes, un bureau, une salle de conférence, des espaces de stockage… Au total, le concours de la Ville de Metz représente un investissement de près de 154 000 euros.